Le rock montagne russe de Messins hardis
La mélatonine a longtemps été
considérée aux Etats-Unis, où une
version
synthétique de l’hormone est en vente libre, comme
la
pilule miracle, le cachet du bonheur : un régulateur de
sommeil,
d’humeurs, de libido… La mélatonine
permet ainsi de
passer sans paliers de décompression de
l’hyperactivité au sommeil paisible : les guitares
de ce
groupe messin en ont à l’évidence
ingurgité
des tubes. On a beau connaître par cœur les plans
de vols
vertigineux du post-rock – cette succession de
piqués,
chandelles et vols planés –, on demeure parfois
sujet
à quelques vertiges et chocs corporels, quand la
délicatesse des arrangements se fait soudain emporter par un
tsunami d’électricité en pelote,
brutale et
athlétique. C’est ce jeu physique, cassant,
métallique, au bord de l’apocalypse, qui sauve
régulièrement Melatonine des petites recettes
dociles du
post-rock : visiblement, les Messins préfèrent
aux
simulateurs de vol, tellement courus chez les disciples de Tortoise ou
Mogwai, l’ivresse et les frissons glaçants du vol
libre.
Simon Triquet
Toutes
les particularités du rock instrumental et cyclothymique se
retrouvent chez Melatonine, mais on sent l’avidité
du
groupe à réinvestir non seulement le terrain,
mais aussi
à le faire sans péremption, avec
énergie et
mesure, comme ses aînés de Mogwai entendus une
dernière fois au tournant du siècle. La
démarche
n’a pas varié d’un iota : des morceaux
en forme de
bouchon de champagne qui résistent tant bien que mal
à
une pression de plus en plus convulsive, jusqu’à
ce que
l’ensemble valse en direction du plafond. Pourtant,
l’approche de ce groupe français est plus
intuitive. Ni
les principes d’une architecture savante, ni la morgue des
premiers de la classe certains de créer un art
sérieux
puisque austère, ne viennent compromettre les
beautés
d’un troisième album qui opte pour un jeu
collectif.
Signé chez Unique records d’où est
provenu la
révélation de The John Venture, Melatonine est un
groupe
dont l’ascension aura été
falsifiée par
l’intrusion sur la scène française
d’un
homonyme. Quel est donc ce monde qui rétrécit au
point
que deux formations choisissent de se baptiser du nom d’un
produit régulateur naturel du sommeil ? Un monde
où
l’on trouve des garçons prêts
à en
découdre avec un genre souvent relégué
dans les
dossiers classés de l’histoire. Cette attitude est
moins
le fait de ses détracteurs que de ses
représentants
émérites, soucieux parfois de ne pas voir une
concurrence
agile briser des records vieux d’une décennie. On
ne peut
décidément faire confiance à personne,
mais
grâce à une érudition qui
n’en étouffe
pas pour autant la vivacité d’esprit et une touche
plus
rétro que passéiste, Melatonine semble
prêt
à affronter les pires bourrasques.
Julien Welter
•••••°
Le temps n’y a rien fait. Depuis la parution en 2003
d’un
album rageur, Les Environnements Principaux, Melatonine n’a
pas
faibli, n’a pas failli. Décembre Est Un Samedi est
parcouru de long en long par une incroyable tension. La rage est ici
mise en exergue. La déflagration sonore est
portée en
point d’orgue. Ce nouvel album, de nouveau publié
sur le
label toulousain Unique (mais cette fois-ci dans un tout autre registre
que The John Venture ou Angil), porte en lui les gènes
d’une colère froide, de celle qui sied si bien aux
gens
qui savent qu’ils ont raison. Le trio messin revient ici
à
un format plus court, porté par la dynamique
établie par
le triumvirat basse/guitare/batterie. Les compositions instrumentales
sont directes, elles percutent l’auditeur, le chahutent, le
brinquebalent, le triturent, le jettent, l’empoignent. Si sur
leur précédent album Melatonine laissait
transparaître quelques déviances
électroniques et
synthétiques, Décembre Est Un Samedi
n’est fait que
de matières organiques sauvagement
électrisées,
résolument rock. L’enregistrement
réalisé en
compagnie de Gilles Deles de Lunt parvient ainsi à saisir
toute
la spontanéité qui anime le groupe.
L’intuition
semble guider des compositions qui s’affranchissent du
format,
des carcans et se déroulent au gré des humeurs du
trio,
sans calcul ni retenue. A mille lieues d’un quelconque
exercice
math-rock rébarbatif, Décembre Est Un Samedi est
animé par un souffle de liberté.
Denis Frelat
"La mélatonine, appelée aussi hormone du sommeil,
est
l'hormone centrale des rythmes biologiques, et d'un certain point de
vue l'ensemble des sécrétions hormonales". Dans
le cas de
Mélatonine, le groupe, il en est tout autrement. Tout
commence
par le néant, puis les poumons se remplissent
d’air,
l’homme atteint son équilibre. Et finalement tout
se
régule, en osmose complète, autour de la
mélodie
du larsen. Sur ce troisième album du trio de Metz, tout
commence
par la fin du monde, objectivement un arpège de guitare sur,
qui
monte en langueur, dans la grande tradition du post-rock qui se
conçoit comme un film d’horreur. Soit un monstre
qui
avance silencieusement sur le lino qui grince, avant de surprendre sa
victime dans son sommeil. A ce petit jeu, Décembre est un
samedi
est un musical-killer qui embaume dans ses mélodies
bruitistes,
avant d’assommer avec un "Lons" d’anthologie
marquant le
retour des guitares post-rock qui ont un sens. Une direction. Le
Tortoise de la période TNT semble avoir
été
absorbé, digéré, recraché
à la face
d’un monde qui ne le mérite pas. Car ici
l’instrumental est reine, peu ou pas de paroles, simplement
le
trio guitare/basse/batterie jouant sur les non-dits qui carbure
à la m éthadone. Décembre est un
samedi marque
l’équilibre entre l’urgence et la
tranquillité. Urgence d’un "Hurkst" qui fait mal,
comme
une bande-son d’un film de gangsters dans la
lignée des
Michael Mann. Puis repos du cœur qui bat au ralenti sur
"Cette
fois encore", où la guitare frottée devient
inconsciemment la voix lead du projet. Ou comment tuer la voix sans
proposer l’ennui. Melatonine introduit 2007 avec
l’un des
meilleurs albums de post-rock, aux cotés de Apse, trio
mystique
américain. Puis l’ensemble vire
carrément à
gauche toute, s’emballe sur "Le décompte" et ses
tempos
à la limite du swing jazz, entrecoupé de guitares
qui
coupent comme le cutter. Et le tout dans un format pop (3.21) qui fait
du bien là où d’autres tentent le
marathon autour
d’un même motif musical. De la pop justement avec
"Rock
prog’s" qui va chercher les guitares de Franz Ferdinand pour
les
tordre. Les malaxer dans l’acide corrosif sur six minutes
apocalyptiques. Jusqu’à tenter
l’expérimental
électronique en mariant les sonorités, tenant le
delay
par le bout des cordes sur Les artères du dimanche. Y
ajoutant
les bruits, les fracas de vaisselles qui cassent sur le sol. Seul un
groupe de province est capable de tenter l’improvisation en
forme
de BO. Et réussir même, à faire
rêver
l’auditeur sans se soucier de la marque de sa veste en cuir.
Si
décembre est un samedi, souhaitons à Melatonine
que 2007
soit une voyage en première classe. Vers une reconnaissance
encore plus large sur l’autobahn du succès.
David Didier
ROCKSOUND (Février 2007)
Plus glauque que Mogwaï, moins aérien et
épique que
Pelican, Décembre est un samedi se situe dans un
catégorie musicale où les groupes doivent
commencer
à se sentir sérieusement à
l'étroit, celle
dans laquelle on accole le préfixe "post" (hardcore, rock,
métal...tout ce que vous voudrez). Pourtant, impossible de
dire
en quoi et où précisement, mais Melatonine se
distingue
habilement de ses petits camarades de palier. L'expérience
peut-être (cette galette est son troisième album)
ou sa
propension à éviter d'en faire des caisses,
à
moins que ça ne soit simplement leur talent de composition
qui
saute aux oreilles. Quoi qu'il en soit, les Messins viennent de nous
pondre leur meilleur album à ce jour, et un grand disque du
genre."
RP
Note : rrrr (super)
L’excellent trio messin (guitare, basse, batterie), est de
retour sur le label Unique Records, trois ans après Les
Environnements principaux, album de rock instrumental marquant, qui se
frayait une voie entre un post rock cyclique (Slint, Mogwai) et des
tensions noise.
Décembre est un samedi, troisième album du
groupe, approfondit l’expérience sonore du
précédent disque. Mais au rock instrumental poli
aux effets électroniques discret du
prédécesseur, le groupe semble cette
fois sans pour autant bousculer sa formule, privilégier un
son plus brut et direct, mis en valeur par le précieux
Gilles Deles aux manettes (producteur du brillant The John Venture
sorti il y a peu sur le label).
L'album nous offre son ciel bas baudelairien menaçant,
où dialoguent intensément les emballement
rythmiques de la batterie et la respiration profonde de la basse, qui
portent haut le lyrisme lancinant des guitares. Qu’on en juge
par Hurkst, certainement la pièce maîtresse du
disque, et sa cavalcade western
effrénée (la guitare qui ouvre le morceau ne
laisse aucun doute). Rock prog’s, découvert live
lors de la soirée anniversaire du label à la
flèche d’or, est l’un des autres
fleurons de cet album ; son accroche midtempo faussement tranquille au
delay entêtant, n’est que le prélude,
comme souvent, à un dérèglement
étourdissant.
Là où certains éprouvent
l’endurance de l’auditeur, singeant les
maîtres du genre avec des compositions interminables,
répétant leurs motifs ad nauseam, Melatonine a
l’intelligence de la concision, d’une
compacité qui met en valeur le caractère
éminemment dynamique de ses morceaux.
Dynamique en son core, Décembre est un samedi est un album
de post-rock dépressionnaire, de rock bruitiste qui ne force
pas sa nature cyclothymique. Melatonine nous épargne
contrairement à d’autres la grandiloquence qui
tourne à vide, plus enclin aux climats subtils
qu’aux paysages monumentaux inaccessibles.
Le trio ne surjoue jamais le post-rock, mais le rejoue à sa
façon, misant sur l’intensité
combinée des trois instruments, qui trouvent ici,
à travers des alliages sonores puissants, un
équilibre nouveau.
Imogen
Melatonine, un des premiers groupes à avoir subi les affres
de nos chroniques fumeuses, est de retour, avec ce titre
énigmatique, sorte de maxime qui aurait pu trôner
au milieu du # 3 de Diabologum, décembre est un samedi. De
ce titre il faudra y chercher les lumières et la
durée du jour, la lenteur avec laquelle les nuits meurent
pendant cette saison. C'est certainement avec une horloge biologique
calquée sur les rotations de la terre que les Metzins ont
échafaudé ses titres à la retenue
stupéfiante dans les longueurs. Loin de ce qui faisait le
fondement même du post rock, Melatonine raccourci les temps,
tranche dans le vif et donne à ses offrandes une couleur
à la fois sombre et alerte. Melatonine en ressort
énervé, comme en témoigne hurkst, et
gagne en tension, que, ironie de l'histoire, E.L.E.V.E.N. le morceau le
plus long de l'album concentre pour ne jamais la relâcher
pour une suite rapide on l'espère. La vie est
très présente mais ramassée (hurkst /
le décompte) et les mots qui arrivent à percer
sont brouillés car la perception des sons est plus
importante ici. Sans abandonner sa marque de fabrique, Melatonine s'en
éloigne certainement, se donnant la possibilité
de revoir le jour de façon plus élastique un soir
d'été. Pour le moment c'est l'hiver, et le
réchauffement climatique n'est pas pour maintenant, mais les
tourbillons sont eux du mouvement..
Gdo
Le post rock des messins de melatonine se durcit pour ce nouvel album
Décembre est un samedi et lorgne vers un mathrock brut et
sans concession. L'album est le plus organique du groupe, et le format
plus court des titres renforce encore la tension que melatonine sait si
bien influer à ses compositions.
Depuis 2001 (année de leur premier album auto-produit), les
messins de Melatonine fustigent le genre rock en
l’ornementant d’un attirail sonore chaotique des
plus variés. Dans une formule basique du
basse/batterie/guitare (exit le chant), le trio met en place des
morceaux construits par étapes : superposant les sons, les
décalant, secouant l’auditeur, puis lui prodiguant
des soins apaisants… tout cela ressemble bien à
une gigantesque marmite où bouillonne les sacro-saints
Fugazi et autre Slint. Sa particularité instrumentale donne
à cette musique sans règle un sacré
coup d’impertinence. On ne joue jamais sur de
l’acquis, mais bien plutôt sur un
(re)déploiement rythmique qui rend hommage aux influences de
chacun des membres du groupe à importance égale
puisqu’il n’y a pas de
‘vedette’ à proprement parler. Le
morceau "janvier 00 :00" qui ouvre l’album, en est la
démonstration par son éclectisme qui emprunte,
subtilement, à l’univers du free jazz. Les
instruments, selon les morceaux, s’invitent et se chahutent
avec plus ou moins de virulence ("cette fois encore").
L’unité de Décembre est un samedi,
troisième album de Melatonine, tient à son fil
tendu, voir distendu par une alchimie rythmique qui bien souvent trouve
une issue dans la fureur ou le dénuement post-rock. Un
disque qu’on pourrait qualifier d’intemporel tant
il convoque des codes toujours plus troublés par des
hésitations rythmiques (d)étonnantes. Les
déferlements de décibels éblouissent
"eleven" (qui clôt l’album en toute
beauté), le font vivre intensément pendant 12mn55
et nous font penser qu’indubitablement, la conclusion est le
sommet de cet album !
Véronique
Doussot
Le post-rock sera à l’honneur avec
l’entrée en scène de Melatonine, dont
le deuxième album signé chez Unique Records
risque d’en ébranler plus d’un. Son
flottant qui cingle, instrumentales sur le fil, Melatonine
s’annonce comme l’alternative française
et planante à Mogwaï. Ce nouvel album, «
Décembre est un samedi », laisse
apparaître de subtiles sonorités
électroniques (claviers, synthés vintage,
groovebox…) autour de la structure de base
guitare-basse-batterie, toujours fidèle aux Sonic Youth et
Shellac. Le post-rock de Melatonine s’admire comme une
avancée dans la mer électrisée.
Il est de notoriété publique (je me la raconte
gentiment) que je n’aime pas le post-rock. Je trouve
ça chiant, pas intéressant, ça
m’endort sans forcément me relaxer,
bref… Je peux cependant citer 4 groupes qui font exception
à cette hygiène de vie : IMMENSE (parce que
c’est beau), TARENTEL (parce qu’ils me font
voyager), MASERATI (parce que ça groove
méchamment) et MELATONINE (parce que des potes et
qu’ils m’ont déjà mis de
méchantes roustes en concert). Ces derniers balancent un
album passionnant de bout en bout, 54 minutes passant aussi vite
qu’un battement de paupières. Instrumentale, la
musique du trio laisse une place prépondérante
à la guitare. On a donc droit à des riffs
grandioses, annonciateurs d’orages salvateurs et
d’accalmies angoissantes. Derrière, section
rythmique carrée, pas un pet de travers.
L’ensemble m’évoque une rencontre
animée entre SLINT et HAL AL SHEDAD. L’artwork est
très joli, j’aime beaucoup ces touches de roses au
milieu du paysage morne. Voilà, qu’est-ce que je
disais ? Une rouste en bonne et due forme.
FL
LONGUEUR D'ONDE Avril-Juin 2007
Nouvel album remarquable pour ce trio de rock instrumental
messin, dont la puissance sonique est particulièrement
éloquente en live. C'est justement un enregistrement brut et
sur le vif que les trois hommes ont privilégié et
superbement réussi. Par leur intelligence de jeu, des
inclinaisons non répétitives, et sans sombrer
dans une formule obscure et abstraite, ils collent parfaitement au sens
originel du terme post-rock, celui qu'ont dessiné Slint et
Toitoise au début des années 90. Ils mettent donc
en branle leur machine puissante à coup de riffs bruitistes,
de distortions, de notes hypnotiques, de rythmiques intenses. Des
techniques sonores qui permettent d'exprimer des émotions
palpitantes, rêveuses, crispées. En
clôture, Eleven s'amplifie dans un étourdissement
vibrant et génial.
Béatrice Corceiro
Il n’est pas très étonnant que
Mélatonine cite Slint comme référence
première. Le groupe Américain
représente le post-rock d’avant le post-rock, au
moment où le terme n’avait pas
été inventé, ce terme qui justement ne
plait définitivement pas à Mélatonine.
Le trio Messin revendique à faire du rock instrumental et ce
deuxième album, plus direct et plus brut que le
précédent, Les Environnements principaux, enfonce
le clou sur une démarche simplifiée.
Mélatonine a toujours donné dans le titre de
3’, comme une montée abrasive, pouvant
être carrément musclé (180.000
terminaisons nerveuses, plus hardcore). Le trio a mis un peu de
côté – au sens propre - ses apports
électroniques, Nicolas le bassiste épanouissant
cette partie de sa créativité musicale dans
Zero degrés et Mathieu dans King Kong was a Cat.
Pourtant, sans doute grâce au travail de metteur en son de
Gilles Deles, certaines parties musicales pourront donner le change en
matière de texture (E.LE.V.E.N., la fin franchement
abstraite de l’album). Le groupe de toutes les
manières - et c’est là tout son art -
alterne court circuits électriques (où
s’il y avait du chant, cela ressemblerait à de
Shellac) avec des long circuits où le groupe emprunte les
montagnes russes (Janvier 00.00 ou le finalement bien nommé
Rock prog’s). Le groupe arrive surtout à
retranscrire sur disque ce qu’il dégage sur
scène. C’était son challenge de
départ et c’est réussi.
Denis Zorgniotti